silencieusement


impossible de partir mon frère ne veut pas il dit il faudrait contourner la ville prendre le périph le large aussi loin que tu peux ou bien non ne pars pas reste encore reste attends ça se calmera il dit je te rappelle ne bouge pas et raccroche on est assis non loin d’elle inquiète derrière son comptoir à attendre pour dîner un peu de vin dans nos ballons peu de mots dans nos bouches alors que dehors tableau cadré verre immense comme un écran suspendu dans un stade la ville fuit toutes sirènes dehors les rêves c’était avant la ville crie hurle pleure la mort la peur l’effroi on est trois le café est désert et la serveuse marie qui s’affaire à nous trouver quoi manger il n’y a plus de pain vous savez et on ferme dans un quart d’heure et des fusillades qu’est-ce que vous pouvez nous dire lui demande-t-on ça tire de partout dans la rue au bataclan ils ont ouvert le feu tiré en vrac rien dit-elle mais il va falloir y aller

on a les architectes qu’on peut se dit-on à déambuler au fil des pièces jouées de nicolas frize dans le bâtiment des archives nationales métro saint-denis/université c’est à cinquante mètres on est quelques-uns sortis de la même rame à découvrir l’endroit fin de ligne et de la ville l’extrémité repoussée refoulée au-delà qu’importe on n’y va pas ni louvres ni tour eiffel ni starbuck mais des barres décrépites et taguées des antennes paraboliques des rideaux tirés des primeurs à la sauvette sur des cartons trempés alors on suit les œuvres jouées d’abord dehors sous un porte-à-faux inutile et grossier puis dans les stocks à marcher en tous sens alors que certains lisent et jouent textes et clavecin puis dans des couloirs blancs des phrases au mur métiers transports histoire la matière de nos jours et encore dans la salle de lecture assis calmes à écouter des chœurs des instruments des enfants chuchotants dont on finira par sortir ne sachant plus ce qu’on a entendu alors juste de retenir le lieu plus pauvre que les barres qui l’entourent et malgré ce qu’en lui on dépose on préfère ce qui vit tant ici le construit est vulgaire de prétention

mon téléphone vibre dans la poche de ma veste on a tiré sur des femmes et des hommes assis à des terrasses de cafés et que même ici tout proche quelque chose s’est passé au stade une explosion ils en parlent autour de nous écharpes rayées autour du cou et le métro de quitter la banlieue dont on descend place de clichy pour manger un peu

le lendemain matin le train intercité dans lequel je montais en gare saint-lazare à destination de rouen m’arracha littéralement à la ville mais n’effaça pas la peur qui m’avait submergé
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l’œuvre jouée ce soir-là par nicolas frize s’intitule "silencieusement"



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 20 novembre 2015.